Quand les « besoins » des élèves entrent en concurrence : un arbitrage professoral impossible ?
Rémy Cottez  1@  
1 : Institut de Recherche sur l'Education : Sociologie et Economie de l'Education [Dijon]
Université de Bourgogne

L'école primaire française est caractérisée par la classe, entendue à la fois comme espace « cellulaire » d'enseignement (Tardif & Lessard, 1999), et comme collectif d'élèves dédié à l'apprentissage. Malgré les nombreuses évolutions du métier d'enseignant, ses dimensions collectives (Germier, 2014), les expériences de télé-enseignement, la multiplication des partenariats ou les dispositifs de coenseignement (Tremblay, 2021), cette forme de classe reste hégémonique à l'école. Ainsi, l'expérience scolaire d'apprentissage est avant tout une expérience collective. Les professeurs tentent de tirer parti de cette dimension en recherchant les dispositifs pédagogiques aptes à fédérer les groupes d'élèves autour d'apprentissages collaboratifs, à profiter de façon symbiotique de la coprésence d'élèves dans une perspective socio-constructiviste. Ces initiatives sont soutenues par la recherche qui va interroger l'efficacité de pratiques telles que le tutorat, la classe inversée, la pédagogie de projet, etc. Pourtant, cette centration sur l'apprentissage par les pairs occulte selon nous celle, beaucoup plus générale, de l'apprentissage avec les pairs, qui est pourtant mise en tension avec l'injonction de plus en plus pressante à l'individualisation des apprentissages. Dans le cadre d'une école inclusive et plus largement, du respect des « besoins particuliers » des élèves (Woollven, 2021), le professeur est en effet incité à viser un enseignement personnalisé, adapté à chacun de ses élèves (Charles et al., 2021). Aussi peut-on se demander quel est l'effet de cette injonction, dans la forme collective de classe, à la fois sur l'enseignement et l'apprentissage de tous les élèves. Notre enquête, mêlant observations de classes, entretiens et études de signalements faisant suite à des difficultés de professeurs, montre la position difficile de ces derniers, quand les besoins de certains élèves captent l'essentiel de leurs ressources pour faire classe, réduisant les marges d'intervention auprès des autres élèves.


Bibliographie :
CHARLES Frédéric, KATZ Serge, LEGENDRE Florence et CONNAN Pierre-Yves, 2021, « Ce que font les “besoins éducatifs particuliers” aux professeurs des écoles », Agora débats/jeunesses, vol. 87, nᵒ 1, p. 95‑111.
GERMIER Christian, 2014, « Le collectif d'enseignants, objet de représentations professionnelles : proposition d'un cadre de lecture », Questions Vives. Recherches en éducation, nᵒ 21.
TARDIF Maurice et LESSARD Claude, 1999, Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l'étude du travail dans les métiers et les professions d'interactions humaines, Presses de l'Université de Laval.
TREMBLAY Philippe, 2021, « Le coenseignement en contexte inclusif : Le plus et le différent », La nouvelle revue - Éducation et société inclusives, vol. 92, nᵒ 6, p. 23‑36.
WOOLLVEN Marianne, 2021, « La genèse de la notion de besoin éducatif particulier », Agora débats/jeunesses, vol. 87, nᵒ 1, p. 51‑64.


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